[Essai] Le colza associé pâturé chez un agriculteur wallon

Résumé

Présentation des résultats d’un essai de pâturage de colza associé mené durant la saison 2018-2019 chez un agriculteur wallon. La technique du colza associé présente de nombreux avantages (baisse de l’utilisation d’engrais, pesticides, herbicides, meilleure efficience dans l’utilisation de l’azote, gestion de certains ravageurs et des adventices, etc.). L’idée est d’assurer et valoriser la destruction des plantes compagnes par un pâturage d’ovins à l’automne tout en maintenant un colza assez vigoureux pour permettre sa moisson en été. Les résultats de cet essai confirment la pertinence de l’association du colza à des légumineuses gélives et montrent que la gestion du pâturage doit être réglée avec soin car ce dernier peut impacter négativement le rendement. Toutefois, les résultats de cet essai sont encourageants et de nouvelles expérimentations de colza associé pâturé sont en cours.

L’association et le pâturage du colza, pour qui et pourquoi ?

Le colza associé est une technique consistant en l’association du colza avec différentes plantes compagnes, généralement des légumineuses gélives (lentille fourragère, féverole, pois fourrager, trèfle d’Alexandrie, etc.) dès le semis. Ces plantes compagnes seront détruites durant l’hiver avec le gel et l’azote qu’elles auront capté sera progressivement restitué au colza (il a été observé que l’association permet de maintenir le rendement de la culture tout en réduisant la fertilisation azotée de 30 à 40 uN/ha (Cadoux et al. 2015; Lorin et al. 2016)) et à la culture suivante (De Smidt et al. 2019). De plus, les plantes compagnes participeront à la lutte contre les adventices (Cadoux et al. 2015; Lorin et al. 2015; Verret et al. 2017) et certains ravageurs d’automne (principalement les altises) (Breitenmoser et al. 2020). Elles feront également office de « pont-mycorhize » (étant donné que le colza ne mycorhize pas) et permettront éventuellement d’implanter un couvert de légumineuses pérennes (notamment de trèfle blanc) qui se développera après la moisson du colza. Cette technique est à privilégier pour les sols ne présentant pas des reliquats en azote trop élevés (ce qui défavoriserait les légumineuses compagnes) ou dans les parcelles présentant un salissement important (car l’association limite les possibilités de désherbage à l’automne, qu’il soit chimique ou mécanique). Une date de semis précoce (autour de la mi-août) permet de favoriser le développement des plantes compagnes qui expriment alors leur plein potentiel de fixation d’azote et de concurrence de la flore adventice. Le colza peut également être une plante fourragère. Semé au début du mois d’août, le colza fourrager est une culture dérobée diversifiant la rotation et permettant de fournir au bétail un fourrage sur pied riche en protéines à une époque où le fourrage frais commence à se faire rare. Ce pâturage doit se faire dans de bonnes conditions pour éviter un tassement du sol à l’entrée de l’hiver. La combinaison du colza associé avec le pâturage permet d’assurer et valoriser la destruction des plantes compagnes, même en cas d’hiver doux, tout en limitant le risque d’élongation précoce du colza malgré une date de semis précoce. Par ailleurs, le pâturage pourrait avoir un effet dépressif sur différents ravageurs comme les altises ou les campagnols (Waligora 2013) tout en produisant un engrais plus rapidement assimilable par la culture (Sauzet 2016). Cependant de nombreuses questions subsistent, notamment sur l’impact de ce pâturage sur le rendement de la culture. Le pâturage permet donc de limiter les pertes des « colzas opportunistes » (colzas associés pouvant potentiellement être détruits au printemps s’ils ne présentent pas un état satisfaisant) (Thomas 2017) dans des situations où les possibilités de pâturage sont flexibles pour permettre un pâturage tournant de courte durée dans de bonnes conditions climatiques.

Présentation de l’essai en ferme

Cet essai a été mis en place durant la saison 2018-2019 à Corbais (Région wallonne, Belgique, terres limoneuses de grandes cultures) sur une parcelle appartenant à Claude Henricot. Cette saison à été caractérisée par des températures globalement plus chaudes que la moyenne avec deux étés très secs (-20% de pluviométrie) (d’après les bilans climatologiques de l’Institut Royal de Météorologie). Toute la parcelle expérimentale a été travaillée superficiellement avec un outil à dent Horsh Terrano® et semée le 30 août avec du colza DK EXPENSION (50 grains/m2 – 2,2 kg/ha) par un semoir Horsh Express®. Trois modalités d’association ont été expérimentées : • Un mélange A composé de (doses exprimées en graines/m2) : • Trèfle blanc HUIA (460) • Trèfle d’Alexandrie AKENATON (200) • Pois fourrager d’hiver ANDREA & ARKTA (42) • Lentille fourragère LENTI-FIX (33) • Féverole d’hiver NEBRASKA (20) • Un mélange B composé de (doses exprimées en graines/m2) • Trèfle blanc HUIA (460) • Trèfle d’Alexandrie AKENATON (200) • Lentille fourragère LENTI-FIX (33) • Féverole de printemps EXPRESSO (16) • Un colza pur Quelle que soit la modalité d’association, le semis a été effectué en un seul passage. Le colza pur a été désherbé en prélevée avec un passage de Butisan® à 2,5 l/ha. Aucun désherbage n’a été mené sur les modalités associées. Deux modalités de pâturage ont été expérimentées : • Une modalité pâturée durant deux à trois jours entre le 22 octobre et le 2 novembre (pâturage tournant entre les micro-parcelles) avec une densité d’environ 101 moutons/ha. • Une modalité non pâturée. Sur le terrain, l’expérimentation se présentait comme un essai en bande. Les trois mélanges (A, B et pur) ont été semés sur une largeur de 19m et une longueur de 182m. Le pâturage s’est fait perpendiculairement au semis par parcelles de 19m de large (une session de pâturage recouvrait donc les trois modalités d’association sans distinction), séparées par un couloir de 1m. Quatre bandes ont été pâturées, et trois n’ont pas été pâturées (dont une de 61,5m de large). Le plan expérimental de l’essai est présenté à la Figure 1. La culture n’a pas connu de difficulté particulière et toute la parcelle a été moissonnée le 24 juillet. Figure 1: Plan expérimental de l'essai

Les résultats principaux

Les résultats présentés dans les paragraphes suivants (et résumés aux Table 2 & 3) ne concernent que cet essai. Il est important de garder à l’esprit qu’ils ne sont représentatifs que d’une saison sur une parcelle. Le nombre de points expérimentaux constituant les résultats ci-dessous est donc relativement réduit. Cependant ces résultats sont encourageants et de nouvelles expérimentations sont en cours.

1. A propos de l’association

Biomasses à l’entrée d’hiver La masse sèche du colza à l’entrée d’hiver (entre le 22 octobre et le 3 novembre, mesurées juste avant le pâturage) est plus élevée pour le colza pur avec 1,8 T MS/ha contre 1,5 T MS/ha pour le colza associé au mélange A, 1,3 T MS/ha pour le colza associé au mélange B. La masse sèche des plantes compagnes est semblable entre les deux modalités : 1,1 T MS/ha pour le mélange A et 1 T MS/ha pour le mélange B.

Attaques d’altises Au 12 septembre, le pourcentage de colza attaqué par des grosses altises était significativement inférieur pour les deux modalités d’association (-49% d’attaques pour le mélange A, -32% pour le B) par rapport au colza pur, faisant passer ces attaques sous le seuil de nuisibilité.

Rendements Le rendement du colza associé est supérieur au colza pur. Il est de 5 T/ha pour le mélange A (+25% par rapport au colza pur), 4,4 T/ha pour le mélange B (+10% par rapport au colza pur) et 4/ha pour le colza pur. Notons que le rendement wallon moyen pour la saison 2018-2019 était de 3 à 3,5 T/ha (Cartrysse 2019).

2. A propos du pâturage

Biomasse pâturée Si l’on compare les biomasses sèches des parcelles pâturées et non pâturées, au même moment, directement après le départ des moutons, on voit que la masse sèche effectivement consommée est plus importante pour l’association A avec 1,2 T MS/ha pâturée. La quantité de biomasse pâturée est de 0,7 T MS/ha pour l’association B et le colza pur.   Il est important de noter que le pâturage a affecté une plus grande proportion de la biomasse sèche du colza pur. 39% de sa masse sèche a été consommée contre 28% de la masse sèche du colza pour le mélange A et 19% pour le mélange B. En ce qui concerne les plantes compagnes, 70% de leur biomasse sèche a été consommée quel que soit le mélange (A ou B) (Figure 2).

Figure 2: Proportion de la végétation pâturée

Valeurs alimentaires Les valeurs alimentaires des différentes modalités d’association ont été estimées par infra-rouge (selon la même méthode que celle utilisée pour estimer la valeur alimentaire des fourrages). Les valeurs alimentaires moyennes (UFL, UFV, PDIA, PDIE, PDIN) des végétaux effectivement consommés par les ovins sont présentées à la Table 1. Pour tous les indicateurs alimentaires présentés, on observe la même tendance avec le mélange A étant le plus riche par unité de surface suivit du mélange B et du colza pur. Table 1: Valeurs alimentaires des végétaux effectivement pâturés

Attaques d’altises L’expérimentation n’a pas permis de mettre en évidence une influence du pâturage sur le nombre d’attaques d’altises. Notons que l’automne 2018 ayant été relativement doux et sec, les conditions favorables aux altises se sont maintenues après le pâturage ce qui a pu limiter son effet sur ces insectes.

Rendements Toutes modalités d’association confondue, le pâturage a entrainé une baisse de rendement de 6% avec des rendements moyens de 4,7 T/ha pour le colza non pâturé et 4,4 T/ha pour le colza pâturé.

3. Effet combiné de l’association et du pâturage sur le rendement

Comme le montre la Figure 3, le pâturage entraine systématiquement une diminution de rendement quelle que soit la modalité d’association avec une différence de 9,4% entre le colza associé A pâturé et non pâturé, 4,4% entre le colza associé B pâturé et non pâturé et 9,5% entre le colza pur pâturé et non pâturé. Si on compare les rendements du colza associé pâturé au colza pur non pâturé (conduite classique), on observe une différence de rendement de 14% en faveur du colza associé pâturé pour le mélange A et de 7%, toujours en faveur du colza associé pâturé, pour le mélange B. Ces résultats mettent en évidence la pertinence de l’association dans ces conditions. Figure 3: Rendements du colza en fonction du pâturage et de l'association

4. Synthèse des résultats

Effet de l’association

Table 2: Synthèse des résultats liés à l'association

Effet du pâturage

Table 3: Synthèse des résultats liés au pâturage

Le pâturage d’un colza associé destiné à être moissonné : une technique à parfaire

Le colza associé est aujourd’hui une technique relativement bien maîtrisée dans de nombreux contextes, permettant non seulement d’améliorer et stabiliser les rendements, mais également d’améliorer l’efficience de l’utilisation de l’azote de la culture, diminuer les besoins en désherbage, en pesticide et en engrais (Cadoux and Sauzet 2016). Les résultats de cette expérimentation sont cohérents avec ces différentes observations. Le pâturage du colza permet de valoriser la destruction des plantes compagnes tout en maintenant un colza assez vigoureux pour permettre une moisson à date. Cette expérimentation n’a pas permis de mettre en évidence une quelconque influence du pâturage sur les populations de ravageurs. Cet essai montre cependant que le pâturage de colza destiné doit être mené avec précaution, car la perte de feuillage à l’entrée de l’hiver peut entrainer une baisse de rendement de l’ordre de 5 à 10. La bonne valeur alimentaire du mélange pâturé et son abondance peut cependant contribuer à minimiser la perte économique due au rendement moins important. Des essais menés en Australie montrent d’ailleurs que cette baisse de rendement, quand elle est présente, n’est pas toujours significative (Dove and Kirkegaard 2014). Notons qu’un semis plus précoce du colza associé (autour du 15 août) et un pâturage moins intensif (1 jour à 100 ovins/ha) pourraient limiter cet impact sur le rendement. De nouvelles expérimentations sont en cours pour affiner la durée et l’intensité du pâturage. En l’état, cette technique est donc principalement destinée à être mise en place par des agriculteurs désirant produire un fourrage sur pied riche à l’automne, qui pourra potentiellement être moissonné si les conditions au printemps sont bonnes. Cependant, elle pourrait prendre de l’importance chez tous les agriculteurs désirant limiter les risques d’élongation précoce sans utiliser de raccourcisseur si la dynamique du pâturage est mieux maitrisée.

Expérimentation menée par le Centre de Recherches Agronomiques Wallon, Greenotec et le Collège des Producteurs ovins dans le cadre des projets TRANSAE et DIVERIMPACTS. Un grand merci à Claude Henricot qui a accueilli cette expérimentation sur ses terres.

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Bibliographie

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